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Auteurs et illustrateurs répondent à nos questions autour de leur dernier livre. Découvrez leurs livres de chevet, leurs conseils de lectures, et plongez dans les coulisses de leur travail.

Entretien avec...

D'origine taïwanaise, Sandrine Kao est née en France. Après des études en métiers du livre, elle poursuit sa formation en illustration à l’École supérieure d'art d’Épinal et en littérature de jeunesse. Depuis 2008, elle est autrice et illustratrice pour la jeunesse, tant pour les plus jeunes que pour les adolescents. La culture asiatique nourrit profondément son travail, visuellement, mais aussi dans les thèmes qu'elle aborde. Dans ses ouvrages, elle souhaite donner au quotidien une facette douce et poétique et ouvrir une porte sur l'autre et vers l'ailleurs.

 

Depuis votre premier album, Écume, paru en 2008 aux éditions Gecko, votre style semble avoir beaucoup évolué. Comment dans votre travail d’illustratrice procédez-vous pour choisir tel ou tel type d’illustration ? Est-ce le texte, le thème, qui vous poussent à utiliser une technique plutôt qu’une autre ?

 


Lorsque mon premier album est paru en 2008, je sortais tout juste d’école d’art et j’étais toujours dans l’expérimentation. Je suis donc passée par la peinture, le collage, le pastel, les crayons de couleur… Chaque nouvel album me poussait à explorer d’autres techniques en fonction du texte et des thèmes abordés. Ces différentes expérimentations et recherches m’ont
amenée à réfléchir sur ma façon de concevoir l’album. J’ai souhaité réaliser un album dans lequel les dessins ne seraient pas uniquement l’illustration du texte, et que le texte ne soit pas redondant par rapport aux dessins. Il fallait que ces deux mediums entrent en résonance tout en portant chacun une voix singulière. C’est avec Émerveillements que j’ai pu réaliser ce projet : avec lui, une représentation plus simple, et dans l’épure, s’imposait.

 


Vos premiers albums représentaient le plus souvent des êtres humains. Dans vos albums plus récents (depuis Émerveillements, paru chez Grasset en 2019), ce sont de tendres petits personnages anthropomorphes. Comment expliquez-vous cette évolution de votre travail ?

 


On a souvent trouvé mes personnages humains trop tristes et mélancoliques… Alors j’ai commencé à dessiner des animaux anthropomorphes plus expressifs, plus proches également de mes personnages favoris en littérature de jeunesse : j’ai ainsi retrouvé le plaisir du dessin au trait et c’est beaucoup plus facilement que je peux leur donner l’expression des diverses émotions qui les traversent.

 


Si l’on compare l’album Dans les bras du fleuve, par exemple, avec votre nouvel album Le fil, malgré les différences de thèmes, il y a une certaine douceur, une certaine poésie commune à vos albums dans vos illustrations aussi. Pensez-vous que certains thèmes, la manière de les aborder soient liés à vos origines taïwanaises ?

 


Si mon style et ma technique de dessin ont évolué, mes thèmes de prédilection sont restés les mêmes, et ma façon de les aborder également. Il y a en effet toujours cette douceur : j’ai peut-être un côté presque maternel envers mes personnages, je n’aime pas les voir seuls et j’essaie de leur trouver des solutions pour qu’ils puissent recevoir de l’affection. Quant à savoir si cela est lié à mes origines taïwanaises, je dirais qu’elles influencent forcément mon travail, notamment graphiquement. Il y a, je crois, une forme de gentillesse, un sourire, un accueil
toujours chaleureux propres à la culture taïwanaise… J’aimerais beaucoup inviter les lecteurs dans mes albums de cette manière-là !

 

 


Pour certains albums, vous êtes à la fois l’autrice et l’illustratrice, pour d’autres seulement l’un des deux. Est-ce une volonté de votre part, de « varier les plaisirs », ou bien vos éditeurs vous le proposent-ils ?

 


Le plus souvent, il s’agit plutôt d’un choix éditorial, mais un plaisir pour moi aussi : lorsque j’ai proposé mon texte Une fleur aux éditions À pas de loups, c’est l’éditrice qui a fait le choix de le faire illustrer par Bobi+Bobi. Je connaissais déjà son travail et j’ai été ravie qu’elle l’illustre ; ses illustrations sur ce texte sont magnifiques ! Avant Émerveillements et Après les vagues, les textes que j’écrivais venaient toujours en amont des illustrations : ils auraient donc tout à fait pu être illustrés différemment et par quelqu’un d’autre. Mais pour ces deux albums, les illustrations et les textes sont tellement imbriqués qu’il était impossible de ne pas être à la fois l’autrice et l’illustratrice.

 

 

Vous avez aussi publié plusieurs romans. Cela est-il pour vous le prolongement naturel de votre travail d’illustratrice ou bien une nouvelle manière d’explorer la littérature
jeunesse ?

 


Je me suis toujours considérée comme autrice avant tout, peut-être parce que j’ai d’abord souhaité écrire avant de vouloir illustrer. Lorsque je souhaite aborder un thème sous un angle
plus réaliste, je choisis la forme du roman. Mon dernier, Comme un oiseau dans les nuages, parle d’origines, de traumatismes familiaux, mais la poésie n’est pas pour autant absente : j’ai
voulu retranscrire les portraits des différents personnages presque sous la forme de contes, et l’amour, si propice aux images, et les arts viennent nouer le fil de l’histoire. Mais je n’ai pas fini d’explorer le roman, et, tout comme Émerveillements et Après les vagues ont pris un format hybride entre l’album et la bande dessinée, peut-être qu’un format hybride de roman s’imposera…

 


Dans votre nouvel album Le Fil, qui est un album sans texte, vous avez réussi à transposer la poésie habituellement présente dans vos textes, dans les illustrations. Cela a t’il été un travail plus difficile que d’habitude de parvenir à une telle épure ?

 


Oui, lorsque l’éditrice de cette nouvelle collection « Mini Bulles » chez Nathan m’a proposé de réaliser une bande dessinée sans texte, ça a été un véritable défi à relever ! Le texte a toujours été un support sur lequel m’appuyer, et réussir à faire comprendre toute une histoire sans un mot n’est pas si facile. Mais c’est aussi ce qui peut être magique : sans texte, les images laissent libre cours à différentes interprétations, libre au lecteur de choisir la sienne ! La mise en couleur de l’album m’a effectivement donné du fil à retordre : sans texte, j’étais tentée d’ajouter aux dessins des détails, comme pour pallier ce manque, et de créer pour chaque paysage (le personnage du Fil traverse différents lieux et éléments : terre, forêt, air, eau) une ambiance colorée différente. J’ai préféré tout épurer, tant au niveau de la couleur que des détails, en ne gardant que les éléments de décor nécessaires, pour privilégier une unité d’ensemble et la lisibilité de l’histoire.

 


Avez-vous des auteurs/autrices, illustrateurs/illustratrices qui vous inspirent ? Des albums ou des romans qui vous ont décidé à exercer ce métier ?

 


J’avais peu d’albums jeunesse lorsque j’étais enfant, mais je me souviens avoir reçu en cadeau Les Derniers Géants de François Place. C’était mon plus beau livre (relié avec un dos toilé). Je lisais et relisais également un recueil de Contes chinois, qui, je pense, a largement contribué à nourrir mon imaginaire d’enfant quant à mes racines asiatiques.
Aujourd’hui, je crois que mes derniers albums sont le fruit d’inspirations multiples : on peut, pour Émerveillements par exemple, y voir l’influence des Oiseaux de Zullo et Albertine, des Meilleures réflexions d'une grenouille d’Iwamura, des Moomins de Jansson, de Petit Mops d’Elzbieta, de Kuma Kuma de Takahashi… et tant d’autres !