www.leslibraires.fr

Kentukis

Samanta Schweblin

Gallimard

  • Conseillé par (Fontaine Victor Hugo)
    11 mai 2021

    Un roman d'anticipation aux allures de Black Mirror

    Le cinéma fantastique hispanophone est indéniablement un des meilleurs du genre, grâce à ses auteurs talentueux : Guillermo del Toro, Alejandro Amenábar ou encore Juan Antonio Bayona pour ne citer qu’eux.
    En lisant les Kentukis de Samanta Schweblin, c’est ce qu’on se dit tout naturellement : les hispaniques savent décidément écrire des histoires fantastiques comme personne, car derrière le décor et l’intrigue, émergent des questionnements qui font écho en chacun de nous.

    Dans ce roman d’anticipation plus que réaliste, une petite merveille technologique, mais néanmoins inquiétante, envahit peu à peu les étagères des magasins et les foyers: il s’agit du Kentukis, une peluche de la taille d’un chat, avec des caméras à la place des yeux et des roues indépendantes pour qu’elle puisse se déplacer librement.
    Là où survient le malaise, c’est que n’importe qui peut se retrouver aux commandes du Kentukis, car l’application distribue les connexions au hasard…
    Le choix qui incombe alors à l’utilisateur, avec le questionnement éthique que cela implique, est celui-ci : posséder un Kentukis et ouvrir les portes de son intimité à un étranger, ou incarner cette petite peluche à l’allure inoffensive et partager le quotidien d’un inconnu à l’autre bout de la planète?
Passées la curiosité et l’excitation de la nouveauté, l’addiction s’installe peu à peu, suivie de quelque chose de plus pernicieux dans la façon d’envisager la relation : si le Kentukis voit tout et entend tout, il doit aussi obéir aux ordres de son propriétaire, ou il sera volontairement éloigné de sa base de chargement. Autrement dit : l’utilisateur fera l’expérience désagréable et dérangeante de la mort virtuelle.
    
A travers cet incroyable roman choral à l’allure dystopique, Samanta Schweblin décrit un monde ultra-connecté dans lequel la solitude ne fait que s’accroître et peser sur nos vies.
    L’écriture, précise et élégante, se met au service de personnages profonds et attachants, nous offrant même quelques moments de poésie.
    Il est impossible de lâcher ce roman à l’atmosphère envoûtante, tant on voudrait savoir jusqu’où chacun est capable d’aller, nous compris. Kentukis est une invitation à la réflexion et à la projection. Car s’il est terriblement réconfortant de combler la solitude, même avec un petit compagnon muet, devenir quelqu’un d’autre en se cachant derrière la technologie peut devenir très vite grisant.

    Être ou avoir? De quel côté vous rangeriez-vous pour changer votre vie?