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  • Conseillé par (Librairie La Grande Ourse)
    14 novembre 2021

    Indomptables Mapuches et quarantièmes rugissants

    Claudio Magris est un écrivain voyageur qui ne s'intéresse pas tant aux lieux eux-mêmes qu'à l'imaginaire qu'ils nourrissent. Il ne se déplace pas tant dans un espace que dans une culture, et ouvre des mondes plutôt qu'il ne parcourt le monde. Il en avait fait la merveilleuse démonstration dans « Danube », livre monumental qui embrassait l'histoire et la littérature de la Mitteleuropa et des Balkans en suivant le cours du grand fleuve européen.
    Avec « Croix du sud » il nous transporte dans le cône Sud de l'Amérique latine, Patagonie et Terre de Feu. Il choisit de nous raconter trois vies, « improbables et vraies », trois vies d'Européens qui se sont passionnés pour ces terres inhospitalières et y ont lié leur destin : Janez Benigar, aventurier slovène débarqué à Buenos-Aires en 1908, devenu spécialiste de la culture et de la langue du peuple autochtone des Araucans, qu'on connaît mieux sous le nom de Mapuches ; Orélie-Antoine de Tounens, avoué à Périgueux, autoproclamé, en 1860, « Roi d'Araucanie », royaume qui n'aura finalement jamais existé ; et enfin Angela Vallese, religieuse piémontaise arrivée en Terre de Feu en 1880, et que les Indiens Onas prirent pour un manchot, à cause de son habit noir et blanc. Des trois personnages c'est le plus attachant. Elle voue un amour infini aux Mapuches, peuple indomptable qui a affronté les Incas avant les Conquistadors et continue aujourd'hui de résister à l’État chilien. Elle soulève des montagnes pour les sauver. Le livre de Magris est aussi un hommage au Mapuches.
    Comme toujours avec Claudio Magris l'érudition est éblouissante, sans jamais être pesante. On croise Jules Verne aussi bien que Darwin, Borgès bien sûr, mais aussi de façon plus surprenante, José Mario Bergoglio, l'actuel pape, qui s'intéressa de près à ces terres et à ses peuples autochtones.
    A la fin du livre Magris s'aventure au delà du Cap Horn, sur les eaux furieuses de l'océan austral, peuplées d’îles désolées et de mythes effrayants, jusqu'aux « quarantièmes rugissants » et aux « cinquantièmes hurlants ». Sa prose devient lyrique. On en sort ébouriffé.

    Jean-Luc