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Le rêve du Celte, roman

Mario Vargas Llosa

Folio

  • Conseillé par (Fontaine Villiers)
    1 juin 2013

    Héros pour les Irlandais, traître pour les Britanniques. Né en Irlande, alors dans le Royaume Uni, Casement devient diplomate après une jeunesses aventureuse. Son enquête au Congo révèle les atrocités dans la colonie privée du roi Léopold. Il fera un travail analogue dans l'Amazonie péruvienne. Tenace, courageux et incorruptible, on le fera chevalier.
    Sans peur et sans reproche? On lui fera deux graves reproches: il est homosexuel et il devient partisan de l'indépendance irlandaise. Son expérience des atrocités coloniales au loin le sensibilise sur la condition de l'Irlande. Là, la période d'oppression aiguë est passée. Les révoltes de 1798, 1803, 1848, 1867 ont toutes échoué. La plupart des Irlandais sont résignés à leur vie de sujets britanniques. Le pays est pacifié.*
    Il y a bien un parti qui oeuvre pour une timide autonomie au sein du Royaume Uni mais Casement entrera dans le mouvement de nationalisme républicain. En pleine guerre il est en Allemagne négociant l'envoi d'armes pour le soulèvement de Pâques 1916. On l'arrêtera à son retour clandestin en Irlande, amené dans un sous-marin allemand. Il sera pendu pour haute trahison (après avoir été destitué de son titre!). Les meneurs du Soulèvement ont déjà été exécutés.
    La part du romancier dans cette histoire? Les rêves, pensées, fantasmes de cet homme discret et solitaire. Une tentative de comprendre cette trajectoire extraordinaire de l'intérieur.

    *Au sens où l'entendait le chef germain cité par Tacite: « Ils font un désert et l'appellent la paix »


  • Conseillé par
    19 février 2014

    L'enfer un peu plus loin

    Dans "Le Paradis un peu plus loin" (2003), le grand conteur péruvien Mario Vargas Llosa narrait les derniers jours de la féministe Flora Tristan. Ici, ce n’est pas de paradis dont il est question mais d’enfer, celui que décrivait Joseph Conrad dans Au cœur des ténèbres, cet enfer que Roger Casement découvrira au Congo belge, propriété du roi Léopold II. « Lui aussi, le Congo l’avait humanisé, si être humain voulait dire connaître les extrêmes auxquels peuvent atteindre la cupidité, l’avarice, les préjugés, la cruauté. Le Congo (…) lui avait ouvert les yeux. L’avait « dépucelé » lui aussi comme le Polonais. » (page 91) Dès lors la dénonciation des crimes coloniaux et de l’abjecte exploitation de l’homme par l’homme sera au centre de sa vie et de son combat politique.

    Auteur d’un rapport accablant sur les crimes des planteurs d’hévéa au Congo, il récidivera en Amazonie avec son Livre bleu sur le Putumayo qui fera grand bruit.
    Le Congo lui aura non seulement ouvert les yeux sur la condition humaine mais aussi forgé une conviction politique. Car Roger Casement commença à se sentir Irlandais « c’est-à-dire le citoyen d’un pays occupé et exploité par un Empire qui avait vidé l’Irlande de son sang et de son âme » (page 140), au cours des vingt années qu’il passa en Afrique, notamment comme consul de Grande-Bretagne. Anobli par la Reine pour bons et loyaux services rendus à la Couronne, le Celte nourrissait en secret un rêve : celui d’une Irlande libre. « Pourquoi ce qui était mauvais pour le Congo serait-il bon pour l’Irlande ? » (page 129) Les huit années passées en Amérique du Sud, notamment dans les forêts amazoniennes, ne feront que renforcer sa conviction : « « l’Irlande, comme les Indiens du Putamayo, si elle voulait être libre devait se battre pour y parvenir. » (page 272)
    Long poème épique consacré au passé mythique de son île, publié en septembre 1906, Le rêve du Celte est aussi celui d’un homme ordinaire devenu une figure historique du combat pour l’indépendance de l’Irlande. Un héros romantique, tourmenté et complexe, en proie à de nombreuses misères physiques et à ses doutes intérieurs. Tout le talent de Mario Vargas Llosa réside dans cette véritable mise en abyme, dans cette capacité à nous faire entrer dans l’intimité de cet homme attachant qui connaîtra un destin tragique : « un être humain, fait de contradictions et de contrastes, de faiblesses et de grandeurs, car un homme, comme l’a écrit José Enrique Rodó « est beaucoup d’hommes », ce qui veut dire qu’anges et démons se mêlent dans sa personnalité, inextricablement. » (page 523) De ce point de vue, Le rêve du Celte — sans être le plus flamboyant et le plus truculent ouvrage du prix Nobel de littérature — est une véritable réussite.