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FAUSSES NOUVELLES DU 21E ARRONDISSEMENT, roman
Format
Broché
EAN13
9782702140628
ISBN
978-2-7021-4062-8
Éditeur
Calmann-Lévy
Date de publication
Collection
Cal-Lévy-France de toujours et d'aujourd'hui
Nombre de pages
217
Dimensions
21 x 14 x 1,9 cm
Poids
274 g
Langue
français
Code dewey
843

Fausses Nouvelles Du 21E Arrondissement

roman

De

Calmann-Lévy

Cal-Lévy-France de toujours et d'aujourd'hui

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  • Vendu par Démons et merveilles
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    2010. Jean-Pierre Huster: Fausses nouvelles du 21e arrondissement/ Calmann-Lévy 2010 . Jean-Pierre Huster: Fausses nouvelles du 21e arrondissement/ Calmann-Lévy 2010
    6.00 (Occasion)
Fausses nouvelles

Une journée d'enfer

C'était une journée hiéroglyphes. Une journée qui débute comme un générique de film. Avec des mots incrustés sur des images.

Normalement, cela n'aurait pas dû me perturber outre mesure, moi qui vis de ma plume folliculaire sous le doux pseudonyme de Donald Eider. Donald... canard... journal... Eider... plumes... plumitif... Voilà mon style d'humour.

Bref, en sortant de chez moi ce matin-là, encore un peu halluciné par une nuit de pleine lune et pleine d'insomnies, je fus à deux doigts de me faire renverser par un camion de déménagement. Deux doigts de pied, évidemment. Repoussé sur le trottoir par le souffle puissant du mastodonte, j'eus à peine le temps de déchiffrer l'inscription sur le hayon du véhicule : Transports Denfert.

Si ce Denfert-là avait été suivi de son complice Rochereau, je ne me serais pas inquiété. Mais un Denfert tout seul, c'est insolite. De même que la couleur noire du camion, plus adaptée au transport de chers disparus qu'aux armoires normandes. En voyant disparaître l'écraseur au bout de la rue, j'eus le pressentiment que ce vendredi serait du genre bad day today.

Il faut dire que tel le cochon truffier, je possède un certain don pour renifler. Sauf que, dans mon cas, ce sont surtout les mauvaises nouvelles, les signes négatifs que je subodore. À peine entamé le premier chapitre d'un roman, dès les premières séquences d'un film, je sais si j'ai affaire ou pas à un nanar.

S'il ne s'agissait que de ces anodines prémonitions, ce serait plutôt un avantage appréciable. Hélas, cette prédisposition m'amène à repérer d'emblée le défaut de la cuirasse, la bizarrerie et la moindre anomalie. Une construction légèrement de guingois, un angle trop aigu, une ombre portée exagérément accentuée sont pour moi autant de funestes présages. Présages qui se voient toujours confirmés.

À une certaine époque, j'avais cherché à en savoir plus sur cette forme de cassandrisme dont j'étais atteint. S'agissait-il d'une malformation congénitale ou d'un travers acquis ultérieurement ? Pouvait-on enrayer cette machine à prévoir le pire ou au contraire la contrôler afin d'en positiver les effets ? N'ayant strictement rien trouvé qui explique cette sorte d'affection, j'abandonnai la partie. Après tout, ce n'était pas plus handicapant qu'une allergie aux pollens ou de la claustrophobie.

La seconde alerte de la matinée eut lieu moins de cinq minutes après le passage en trombe des transports Denfert. J'attendais le bus 33 pour me rendre au journal. Il arriva bientôt mais continua sa route sans s'arrêter. Les voyageurs lâchement laissés sur le trottoir râlaient déjà, taxaient ces rats de la RATP d'égoïstes ne ratant pas une occasion de les laisser en rade pour satisfaire leurs radines revendications salariales, quand un ancien combattant à béret et Gitane maïs nous signala l'affichette apposée sur le poteau :

Suite à la sauvage agression

d'un des agents de conduite,

le trafic de la ligne 33 est interrompu.

Contrarié, je suivis la foule en direction de la station de métro Sibelius, sachant que, pour rallier mon journal, pourtant à moins de un kilomètre à vol d'oiseau, il me faudrait trois changements. Je refis surface à la station Richard-Strauss puis m'engageai dans l'avenue des Chevaliers-Teutoniques, siège de L'Actualité, l'emblématique quotidien national où je sévis comme scribe de seconde classe. En passant devant la boutique de lingerie mitoyenne du bistrot servant d'annexe à la rédaction, la jeune vendeuse qui installait sa vitrine m'offrit une adorable vue plongeante sur le papillon – un morpho bleu du Brésil – tatoué au-dessus de son string.

Occupant la pointe où se rejoignent la rue Carmen-de-Bizet et la rue de Samarcande, l'édifice qui abrite le journal m'a toujours fait penser au building fer à cheval de Manhattan. Version modèle réduit. Son architecture métallique de style eiffelien, sa façade barocco-baltardienne qui aurait pu servir de décor au Delicatessen de Jeunet et Caro me procurent d'étranges sensations. Le même genre de troublants frissons que déclenchent en moi la vue du David de Michel-Ange ou l'audition de la Cinquième Symphonie de Mahler. À l'extérieur, la chair de poule. À l'intérieur, un soudain apaisement qui me donne l'impression que tout est encore possible sur cette terre. Qu'il me suffit de décider une chose pour qu'elle s'accomplisse. Que la nature humaine n'est peut-être pas, je dis bien peut-être, si pourrie que ça. Que je suis mortel, oui, mais indestructible.

Hors service, indiquait le panonceau accroché à la porte de l'ascenseur. Troisième avertissement, songeai-je, fataliste. À peu près convaincu qu'il s'agissait de ma dernière ascension, je grimpai en traînant la patte, me remémorant la première fois que j'étais venu au journal. Il y avait de cela trois ans et l'ascenseur était également en dérangement.

Un an plus tôt que ces trois années-là était né L'Actualité.

Lancer sur le marché un nouveau quotidien procédait neuf fois sur dix de l'opération suicide. Pour éviter un plantage quasi assuré, le magnat finançant le projet avait sagement décidé de s'inspirer d'un des leaders du marché. Il suffisait de concevoir un journal comme Libération... sans les défauts de Libération ! Défauts que le panel de lecteurs interrogés résumait par un laconique : « Le dernier tiers du journal est à foutre à la poubelle ! » Le tiers incriminé concernant les pages culturelles.
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