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Comme un chat dans la gorge, roman
EAN13
9782809800432
ISBN
978-2-8098-0043-2
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
Roman français
Nombre de pages
158
Dimensions
22,5 x 14 cm
Poids
226 g
Langue
français
Code dewey
843

Comme un chat dans la gorge

roman

De

Archipel

Roman français

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DU MÊME AUTEUR

Le Propre du bouc, Manya, 1991 ; J'ai Lu, 1992.

Dernière injure avant saisie, Manya, 1992.

« Le Fantôme du Launay », in Port-Blanc, vérités et chimères, éditions Fou de Bassan, 2005.

« La Folle du clocher », in Tréguier, vérités et chimères, éditions Fou de Bassan, 2006.

« Le Colosse de Saint-Guirec », in Ploumanac'h, vérités et chimères, éditions Fou de Bassan, 2007.

SOUS LE PSEUDONYME D'HÉLOÏSE FERRAND

« La Collectionneuse », in Port-Blanc, vérités et chimères,éditions Fou de Bassan, 2005.

« Le Berceau familial », in Ploumanac'h, vérités et chimères,éditions Fou de Bassan, 2007.

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Et, pour le Canada, à
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Montréal, Québec, H3N 1W3.

eISBN 978-2-8098-1081-3

Copyright © L'Archipel, 2008.

À Bernard Giroux, incorrigible félinomane

« Un crime n'est pas bien difficile àfaire, va, il suffit d'avoir du courageaprès le désir... »

Stéphane Mallarmé,
« Pauvre enfant pâle »

Ma mère

— Salope!

Je ne supporte pas que cet objet me nargue. La glissière de ma trousse de toilette. Elle vient de craquer sous le trop-plein de flacons et crèmes de beauté que j'y ai entassés.

Je supporte encore moins de quitter mon nid, en suspens dans le ciel, au dernier étage d'un immeuble bordant le canal Saint-Martin. En ce début de week-end, Cédrig aurait pu m'y rejoindre. Et Janus...

Je ne supporte plus rien.

Dans ma rage à boucler mon sac, je me suis coupée sur la pointe de mes ciseaux à ongles.

Griffure...

Les sanglots m'étranglent. Je me laisse tomber à genoux sur le sol de la salle de bains. Martèle le plancher de teck, invective les tranchants d'acier étincelants d'indifférence :

— Fumiers !

Je ne supporte plus de saigner. Surtout à cet endroit. La veine du poignet.

Griffure...

Il s'était débattu comme un tigre, l'animal. Ses pattes avaient pédalé dans le vide comme une araignée retournée sur le dos.

J'en vois une qui grimpe le long du carrelage bleu et blanc... « Araignée du matin, chagrin », disait ma mère, adepte des dictons. D'ordinaire, je me serais contentée d'écraser l'intruse. Un myst érieux réflexe me propulse vers le vide-poche où traînent des épingles. J'en saisis une, empale la bête. Comme l'autre, l'insecte dégoûtant agite convulsivement ses pattes. Je les lui arrache une à une : « Je t'aime, un peu, beaucoup, à la folie... » Ma folie dégénère en un miaulement guttural, comme si Janus allait me faire éclater la glotte.

La seule évocation d'un acte de sadisme m'a toujours révoltée. J'ai puisé une paix infinie dans le raffinement de cette agonie.

Griffure...

Je réussis à fermer mon sac. En vérité, je ne supporte plus d'aller la retrouver. Elle. Dans son état. Je redoute même de l'appeler au téléphone. La plupart du temps, elle ne répond plus. Me laisse imaginer le pire. Aujourd'hui, j'ai de la chance. Elle décroche :

— Allô ? Ma petite maman? C'est Élise.

Elle hésite.

— Votre fille.

— Oui...

— Vous vous rappelez que j'arrive ce soir?

— Bien sûr, je suis tellement contente.

— Vous savez que je n'ai pas vos clés. Il faudra m'ouvrir la porte...

La voilà qui s'offusque :

— Mais oui, je le sais tout ça !

— Alors, à tout à l'heure. Vers 22 h 30.

D'habitude, Janus, la queue en point d'interrogation, la moustache fouineuse, renifle avec méfiance mon bagage, prêt à détaler si d'aventure je sortais son panier du placard. Il déteste les voyages. Je le rassure :

— T'inquiète, Janus. Je t'ai fait tes endives au jambon. On viendra te nourrir samedi. Je rentre dimanche.

Un bâillement à lui décrocher les mâchoires me signale qu'il demeure imperméable à ma crise d'angoisse.

Cette fois, plus personne, plus rien ne me retient. Cédrig est resté en Bretagne. Et Janus...

Griff... La goutte jaillit. Je vois rouge...

Je pars toujours à reculons, avec un regard éperdu d'envie sur cet intérieur séparé du dehors par de simples verrières. Au-dessus de la mêlée, j'observe le monde, à l'abri de ses agitations et de ses embûches.

J'enfile ma cuirasse mentale pour fendre sans trop de dommage la foule des nomades qui noircit les quais de la gare Montparnasse. Les trois heures durant lesquelles le train me conduit à très grande vitesse de Paris à Bordeaux me conditionnent pour affronter l'épreuve. Bordeaux, le terminus où mourra ma mère, égarée dans les limbes d'une démence sénile. Peut-être cette maladie a-t-elle un nom plus précis, scientifique? Pour moi, rien qu'une vulgaire gloutonne se goinfrant de la mémoire de ma chair. Accélérant les signes de sa déchéance.

Ils se sont succédé un à un. Je suis entrée en fureur quand j'ai vu que ma mère oubliait d'appeler sa dame de compagnie pour aller chez le coiffeur, au pressing... Révoltée que la vieillesse devienne sale et négligée. J'ai perdu l'envie d'embrasser ce visage enlaidi par un casque de cheveux gras, de toucher ce corps suspect, vêtu d'une robe tachée, exhalant la transpiration rancie. J'ai demandé à la dame qu'elle passe systématiquement une fois par semaine pour régler ce détail honteux.

J'ai cédé à la panique quand j'ai constaté que le réfrigérateur de ma mère était rempli de quiches moisies et de paquets de viande périmés. J'ai insisté pour que la dame lui fasse ses courses et jette la nourriture avariée. J'étais de ce fait persuad ée d'avoir ramené ma mère sur les chemins de l'hygiène corporelle et alimentaire. Propre, socialement autonome. Je la voulais ainsi.

La culpabilité m'a pétrifiée quand j'ai découvert que ma mère avait fondu depuis ma derni ère visite, oubliant tout simplement de manger. La dame a accepté de venir deux heures, midi et soir, pour lui préparer et lui donner ses repas.

Il ne faudrait plus que ma mère décline, ne serait-ce que d'un demi-neurone... C'est la prière que j'ai conçue, l'unique que je récite encore aujourd'hui. Sinon à Dieu, sans doute à moi-même. Je la rumine pendant tout le trajet. Mon regard se noie dans le paysage. Mon œil est aussi torve que celui d'une vache paissant au bord de la voie. Une trêve ou deux au bar, une ou deux aux toilettes où je scrute, sous la lumière crue, un sillon qui se creuse de chaque côté de ma bouche. Cette source de séduction qui semblait inépuisable finira lentement mais inéluctablement entre parenthèses.

Quelques incursions dans le wagon fumeurs pour tirer sur une Vogue menthol. Je raffole de son goût frais, de sa longueur excessive, de son élégante finesse.

Quand le train commence à vibrer, sur le pont qui franchit la Garonne, je me lève. Un quart d'heure plus tard, un taxi me dépose Résidence des Acacias.

L'horizon de ma mère s'est réduit à un trois pièces terrasse planté dans ce grand parc. Une fois dans l'ascenseur, je ne peux réprimer un sourire, préfigurant le sien, tandis qu'elle me dira :

— Je suis contente de te voir, tu sais...

« Contente. » Cette sensation, elle l'aura oubliée trente secondes plus tard. Mais le mot compensera ces deux jours de souffrance, à suivre ses errements dans l'appartement à la recherche d'elle ne sait plus quoi, à l'entendre radoter sur le nom du jour et l'avancement de l'heure.

Je sonne. Je vais bientôt entendre la semelle de ses mules racler fébrilement la moquette. Pas trop vite, maman, vous allez tomber. Dépêchez-vous quand même... Aurait-elle réappris à marcher en décollant du sol ses talons ?

Je sonne une deuxième fois. Tends l'oreille. Aucun bruit. Ni celui de ses pas maladroits, ni celui de la télévision. Elle en hausse le son à vous défoncer les tympans. J'écrase une troisi ème fois mon poing entier sur la sonnette, tambourine sur la porte... Bizarrement, je ne sais pas si je dois m'inquiéter. Contrairement à ses déclarations, voici quatre heures à peine, il y a de fortes chances pour que maman m'ait oubliée, cédant au sommeil en toute sérénité. Sa chambre est au bout du couloir. Aucun espoir de la réveiller.

Je m'assieds par terre en tailleur, adossée au mur qui fait face à la porte. J'allume une autre Vogue. Dehors, le parc s'étend sur une zone isolée du reste de la ville, à des kil...
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