Le fourbi

Les petits enfants du sapeur Camembert mouchent leur nez et béent d'admiration, écoutant le récit des exploits de l'aïeul valeureux ; les invités du général-comte négligent leur sorbet à la fraise, et restent pantois, apprenant comment le chef audacieux transforma la déroute en une défaite complète, mais honorable. Les guerres étaient faites pour être racontées et pour demeurer complètement incompréhensibles. On en tirait les plus beaux albums d'images pour distraire les orphelins. Ces images n'étaient pas coloriées qu'à Épinal, mais, autrefois, dans toutes les bourgades de France. Notre pays, bénéficiant sans aucun doute des succès de l'instruction obligatoire, est aujourd'hui mieux traité. Sa dernière guerre, qui se situait, rappelons-le, en Algérie, a été remarquablement expliquée, et d'une façon parfaitement contradictoire, par nombre de personnalités éminentes et chargées de responsabilités du niveau le plus élevé. Il est triste, cependant, de constater combien facilement, pour le troupier du rang le plus obscur, grelottant dans son trou d'homme et pas tellement rassuré, les personnalités éminentes passent pour des plaisantins de l'espèce la plus funambulesque. Car ne négligeons pas l'importance du troupier du rang le plus obscur. Sans lui, les guerres seraient impossibles, ou font ternes. Il sera colorié ici dans tout son éclat. On montrera comment plusieurs de ceux-ci survécurent, déjouant les intentions avouées de l'ennemi, qui était de les tuer ; on s'émerveillera de leur humeur goguenarde, conservée robuste au milieu des plus effroyables dangers ; on s'étonnera de la violente simplicité de leurs problèmes ; on craindra enfin que ces derniers ne soient définitivement compliqués par l'apparition d'une jeune fille extrêmement belle qui s'adonnait à des rêveries d'une nuance politique malsaine. On lira un roman-album.