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Olivier L.

14,50
Conseillé par (Librairie l'Esperluète)
19 décembre 2023

l'amour qui dure tous les jours

De toutes les émotions, celle qui nous remue le plus est évidemment l'amour (ou la haine aussi bien sûr, mais on n'en parlera pas, l'actualité nous en donne trop d'exemples). Dans la littérature, une place absolument gigantesque lui est accordée, qu'il se présente sous l'espèce de la passion, de la rupture, des rebondissements ; il y a des amours malheureuses, ou qui sont étranges, on évoque les formes nouvelles qu'elles prennent de nos jours. Il y a des fins heureuses aussi, ou parfois des histoires où l'amour est ce que l'on fait plutôt que ce que l'on ressent. L'amour trouve sa place dans beaucoup de romans dont il n'est pourtant pas le thème principal. Il y a les romances, qui sont les romans d'amour, un genre qui existe depuis toujours.
Mais il y a une forme de l'amour que la littérature n'évoque pas, ou très peu, et, lorsqu'elle le fait, c'est comme par inadvertance, quand ce n'est pas avec une sorte de condescendance. Une forme qui n'est pas romanesque, ou qui n'était pas romanesque jusque là, jusqu'à ce que François Bégaudeau s'en empare : l'amour banal, quotidien, qui dure ce que dure la vie, celui qui ne rompt pas, sauf lorsque la mort sépare les amants, mais après des décennies de compagnonnage. Pas tout à fait l'amour qui dure toujours : celui qui dure tous les jours. Et c'est très beau.

Conseillé par (Librairie l'Esperluète)
9 décembre 2023

Ce livre pourrait être celui d'un secret de famille, thème récurrent de la littérature. Sauf qu'ici, c'est un secret d'un genre particulier puisque presque tout le monde le connaît. Sauf le narrateur, Simon, dont le grand-père a eu un enfant, dans sa jeunesse, en Allemagne, avec une autre femme. Alors c'est plutôt comme une blessure de la famille, une interrogation jamais résolue, un passé non réalisé. Lui-même confronté à une bifurcation de sa vie - en pleine séparation d'avec sa femme -, à l'échec d'une déchirure, Simon se lance dans une autre réparation.

Saliege Brice

Editions Saliege/Brice

25,00
Conseillé par (Librairie l'Esperluète)
8 novembre 2023

Chartres derrière Chartres

21 places chartraines qui racontent l'histoire de la ville. Un puzzle fait de vues anciennes, de photographies actuelles et de textes qui nous promènent de l'histoire à l'actualité.

Laurent Seminel

Menu Fretin

14,90
Conseillé par (Librairie l'Esperluète)
20 octobre 2023

L'eau (de mer) à la bouche

On mange intelligent chez Menu Fretin. Premier opus d'une collection qu'on espère vaste et durable, vous y apprendrez tout sur l'huître : l'histoire de l'ostréiculture, la littérature sur l'huître et la manière de l'ouvrir sans risque. Et, puisqu'il s'agit de cuisine, des recettes inattendues, pour les déguster autrement.

Graciano Marc

Guepine Editions

12,00
Conseillé par (Librairie l'Esperluète)
25 septembre 2023

Par Christophe Esnault

Fatiguer tout le monde avec notre émerveillement et notre joie

L’objet-livre est délicieux. Du fil ! Et un format-choix-de-typo-papier-contact-doux qui met dans mes mains “un vrai livre”. J’aime le travail de La guêpine, je trouve ses livres très élégants.

Je “retrouve” Le Soufi (le libraire de Chartres (pas benêt)) en a dépoté une grosse centaine d’exemplaires (bonjour aux ❤ autres libraires ❤), Le Charivari – maison Cadran ligné, merci, voilà mes nuits et rêves de pêcheur hantés par un poisson inconnu, un monstre, un mythe révélateur d’effroi originel saturé de toutes les curiosités – et me régale avec ce plus récent extrait du « Grand Poème » de Marc Graciano.

Je pense à Robert Alexis pour l’évocation de la robe. & aussi à Léon Tolstoï et à son Le Père Serge. Au superbe La Bièvre de Joris-Karl Huysmans republié récemment (merci aussi !) par Le Réalgar. Mais est-ce utile d’opérer une ou des boutures référentielles ?

(Extraction dans l’insécable) :
« (…) , ce n’était point l’ermite qu’ils allaient voir qui s’était proclamé saint, mais plutôt la rumeur publique, au vu de sa fame élevée, à cause qu’aucun saint homme, bien évidemment, ne saurait prétendre l’être, ce à quoi précisément, fit remarquer finaudement la vieille voix prude, l’on reconnaissait les saints hommes, mais le damoiseau répondit ne rien voir dans la vie de cet homme qui eût pu le faire élever par quiconque au statut de saint, puisqu’il n’avait conduit ni remporté aucune grande bataille chrétienne, ni acquis aucune véritable science religieuse, ni fait édifier encore aucun monument religieux, ni fondé aucun ordre, ni établi aucun hôpital, ni dirigé aucun asile, ni, bien sûr et surtout, réalisé aucun miracle, bref, dit la jeune voix faraude, qu’il n’avait encore rien réalisé qui fût de valeur aux yeux de ses semblables, et la harpie ricana en entendant ces mots qui semblaient la combler de joie mauvaise, alors l’on entendit la voix de la jeune vierge, qui était pure et cristalline, tant pure et frêle qu’elle était à peine perceptible, qui disait qu’il était nul besoin d’avoir fait monstration de vanité et de puissance pour être considéré comme un saint, mais, bien au contraire, de renoncement et de faiblesse, mais la harpie ricana méchamment à nouveau, et proclama qu’elle ne voyait rien de plus vaniteux que l’acte de se retirer du monde et du commerce des hommes en guise d’édification pour eux, (…) »

Récit d’une arrivée vers l’ermite et son lieu de réclusion. Combien sont-ils à grimper vers lui en conversant ? Ai-je besoin d’en dire trop et que s’effondre pour le lecteur un ressort narratif. Je bute sur le mot, on est bien moins dans « une » narration que dans un poème qui nous est déroulé ici. Marc Graciano est un « langueur » (définition sur demande), camarade d’un autre « haut langueur » au catalogue de La guêpine : Claude Louis-Combet. Auteurs chez qui le récit est un poème. Deux écrivains que je lis souvent à haute voix. Il y a quelques semaines, déclamer à six heures du matin, de longs fragments, sur la promenade Julien Gracq de Saint-Florent-le-Vieil Transphallie, extrait de De la terre comme du temps, nouvelles, parues chez Lettres Vives. L’année dernière, Johanne, en sautant le premier paragraphe pour y revenir en fin de lecture. Johanne m’avait résisté de longs mois, puis je l’avais avalé sur un banc de Saint-Florent-le-Vieil, face à la Loire. Comme, plus tard, j’ai avalé dès acquisition – et loin des mulets – Shamane et cette figure féminine vivant dans son camion, rattachée à la nature (elle pêche à mains nues sous les racines d’une rivière), rattachée à une bouteille de champagne un jour de fête. J’avais imaginé le corps d’Iggy Pop dirigé par David Lynch pour les deux chapitres les plus inquiétants. Désir de cinéma contagieux aussi sur d’autres pages du livre. De cela, il aura fallu parler aux amis. Moments installés comme un rituel. La demi-heure d’échange au téléphone avec F., avec A., avec N.

Chez La guêpine, La Loire de Charles Péguy ; il semblerait que je tourne autour de ce livre depuis quelque temps.

Et la scène érotique du bain dans Johanne. Joie extatique voluptueuse ou tension préorgasmique saturée de toutes les beautés de cœur et d’âme ? Il va devenir fatigant de dire que les textes de Marc Graciano feraient presque de lui le seul écrivain français vivant, le seul poète (après Cédric Demangeot, Jude Stéfan et Franck Venaille), et que nos vies sont bien reliées à chacune de ses parutions. Ce ne sont pas seulement des rendez-vous. Noirlac, 12 octobre chez Le Tripode.

Les tourments du fleuve, les oiseaux d’eau, un ciel calciné d’orage et de nuages rescapés dans ce qu’ils contiennent d’extensions (rythme, sons, images, présences…). Allez vers une joie cosmique, augmentée d’une saison et d’un astre en mouvement ou d’un autre fleuve : un nouveau livre de l’auteur dans nos mains.

Christophe Esnault